Il n’y a pas que les policiers qui peuvent faire des enquêtes. En matière de fraude ou de criminalité financière, on fera appel à un juricomptable pour enquêter. Catherine Payette nous présente son parcours et divers aspects de ce métier encore méconnu.
À la fin du secondaire, je n’avais pas d’idée définie sur ma profession. Comme j’ai toujours eu de la facilité dans les études et que mon père était allé à l’université, je savais que je voulais aussi aller à l’université, donc je voulais choisir un programme collégial préuniversitaire. Comme mon père et d’autres membres de ma famille étaient comptables, c’est un métier que je connaissais un peu. Je savais déjà que je voulais avoir une famille et pour cette raison avoir des horaires de travail réguliers, en journée ainsi qu’un salaire suffisant. Je me disais qu’avec ces attentes et mon profil studieux et cartésien, ayant une facilité en mathématiques, la comptabilité me paraissait une bonne option. J’aurais eu des intérêts vers les soins infirmiers, pour aider les gens, mais ça ne correspondait pas à mes attentes à propos de l’organisation du travail. Le droit m’intéressait aussi. Au cégep, j’ai opté pour les sciences humaines avec un profil administration, incluant les mathématiques. J’ai ensuite choisi le baccalauréat en administration, option comptabilité avec des stages coopératifs à l’Université de Sherbrooke. J’ai visité de grands cabinets comptables dans le cadre des activités de « course aux stages », et c’est la première fois que j’ai entendu le terme juricomptabilité. C’est seulement au cours d’une formation de 2e cycle universitaire préparatoire à l’examen de CPA, où il y avait un cours de juricomptabilité, que mon intérêt a été grandement piqué. J’ai appris le mot juricomptable vers 21 ans en étant déjà à l’université, donc je ne l’avais pas choisi initialement. Pendant tout mon parcours universitaire et l’ensemble des cours de comptabilité, surtout la formation en audit des états financiers, je n'étais pas convaincue que je voudrais faire ce métier. Quand j’ai enfin connu la juricomptabilité, j’ai su que j’allais terminer ma formation de comptable, mais que je me spécialiserais en juricomptabilité. J’ai poursuivi avec un diplôme de 2e cycle universitaire en lutte contre la criminalité financière et je suis maintenant juricomptable.
En juricomptabilité, les tâches et l’organisation du travail dépendent premièrement du type d’employeur. J’ai travaillé pendant un moment dans les cabinets comptables où je devais faire des enquêtes de fraudes financières pour des entreprises afin de détecter les stratagèmes de fraudes dont elles étaient victimes ou réaliser des mandats de prévention de la fraude pour les aider à renforcir ou mettre en place des mécanismes de gestion de la fraude. À ce moment-là, en travaillant pour des clients, tout le travail varie en fonction de leurs besoins. Par exemple, on doit rencontrer les clients, démarrer des dossiers et obtenir de l’information, rédiger des rapports, présenter les résultats de nos démarches au client ou à la cour.
Maintenant, en travaillant chez Hydro-Québec, je suis en éthique et intégrité, et je travaille encore dans les mécanismes de prévention et détection de la fraude et des méfaits. Dans ce type d’emploi, c’est principalement par les employés et gestionnaires de l’organisation que les demandes me parviennent. Je dois faire des analyses et des suivis en fonction des signalements qui sont reçus. Parfois, il faut préparer les dossiers qui peuvent mener à des enquêtes.
Le juricomptable a un travail qui nécessite des relations avec les clients, les intervenants et les collègues à différents niveaux. Une autre partie du travail nécessite des actions plus solitaires où l’on fait place à l’analyse et à la rédaction de rapports.
C’est un travail très analytique, où l’on doit creuser, bien comprendre les enjeux et déceler les anomalies. Même si on comprend la théorie d’un stratagème de fraude, la fraude ne sera jamais commise de la même façon. Il faut être inventif, avoir de l’imagination pour se mettre à la place du fraudeur, tout en utilisant son jugement personnel afin de bien cibler les problématiques. Cet aspect amène bien des défis, ce qui en fait une grande source de motivation.
Un autre aspect qui est motivant, c’est que notre rôle a aussi un aspect de conseil, où l’on met des efforts pour aider les autres. Grâce à notre expertise, nous partageons nos connaissances afin d’indiquer aux autres les meilleures méthodes à appliquer pour se prémunir contre la fraude. Notre connaissance de la fraude et des différents stratagèmes sert à aider les clients ou à aider l’entreprise et ses employés en matière de prévention, détection et mitigation de la fraude financière en fonction des besoins de chacun.
Lorsque j’ai travaillé pour un grand cabinet comptable, j’ai malheureusement dû accepter que mes horaires de travail soient plus compliqués que ce à quoi j’aspirais. J’ai dû prolonger mes journées au-delà des heures régulières à plusieurs reprises parce qu’il arrive que l’on doive à tout instant poser des actions, par exemple pour démarrer un dossier en urgence à la demande du client, demander des injonctions à la cour, retirer des accès aux systèmes informatiques à un employé potentiellement fautif. C’est la nature du travail qui demandait cette implication, et ce défi est très stimulant, mais à ce moment l'équilibre travail-famille est un peu plus difficile à maintenir.
Un autre aspect à considérer, c’est que pour les enquêtes, il est nécessaire de rencontrer diverses personnes pour des entrevues ou pour obtenir des informations, et bien souvent les gens ont différents niveaux de compréhension de notre travail et on doit s’adapter, bien vulgariser et apprendre à interagir avec diverses personnalités. Parfois, il faut rencontrer des personnes avec des rôles importants, qui peuvent être intimidantes, mais il faut avoir confiance en nos connaissances et notre expertise afin de prendre notre place et de bien pouvoir livrer le travail demandé.
Pour les enquêtes, un travail de terrain est souvent nécessaire, c’est-à-dire qu’on a à questionner des gens et analyser des données, on prend vraiment une position d’enquêteur.
Le parcours pour devenir juricomptable a aussi changé avec les années et ce n’est pas vraiment connu. Après la formation de base, et l’examen pour l’obtention du titre de CPA, il n’est plus essentiel de faire les deux années d’expérience professionnelle en audit requises par le passé. L’accès est maintenant possible en travaillant dans d’autres secteurs d’expertise comptables. Aussi des formations pouvant s’ajouter à celle menant au titre comptable, existent pour explorer la juricomptabilité. Ces formations ne sont pas requises pour exercer la profession, mais peuvent être d’une grande aide en connaissances théoriques et en expérience.
Les titres de comptable et de juricomptable offrent tellement de possibilités de carrière qu’il est certain que la sécurité d’emploi est assurée dans le domaine. Pour travailler à titre de juricomptable, il est nécessaire d’être curieux, débrouillard et analytique. Comme il y a une part de travail d’équipe et de relations avec les clients, il faut être à l’aise avec les communications et la collaboration, ce sont des aspects essentiels.
La profession de comptable est très variée et c’est un point qui a beaucoup évolué. Il y a bien sûr les comptables qui font de l’audit comme principale activité ou qui interviennent dans d’autres domaines de spécialisation comme la juricomptabilité, la cybercriminalité, l’intelligence d’affaires. Les comptables sont aussi dans des entreprises de tous les domaines, donc il y a la possibilité de travailler en comptabilité dans un domaine qui nous tient à cœur : les jeux vidéo, l’environnement, la fabrication, et plus encore.
Pour les juricomptables, les milieux de travail sont variés. Il est possible de travailler en cabinet comptable privé où les clients seront des entreprises ayant besoin des services de détection et prévention de la fraude. On peut aussi travailler dans les grandes entreprises qui ont des équipes dont l’objectif est de lutter contre la fraude et les méfaits, comme chez Hydro-Québec, les instances gouvernementales et les divers grands organismes publics. Il est aussi possible d’agir à titre de juricomptable pour des mandats avec des corps de police de différents niveaux.