Entrevue avec une psychiatre

REPÈRES ta carrière (Entrevues)
31 janvier 2023
Entrevue avec une psychiatre

Bien que la pédopsychiatrie, la psychogériatrie et la psychiatrie légale soient les surspécialités officielles de la psychiatrie, certains professionnels orientent plutôt leur travail vers un sujet précis comme la toxicomanie, les troubles de l’humeur, la schizophrénie ou encore la santé mentale dans les communautés autochtones. Janique Harvey travaille auprès des communautés cries depuis quelques années déjà et elle nous partage son expérience professionnelle passionnante dans le Nord du Québec.

Janique Harvey
Psychiatre
Institut universitaire en santé mentale Douglas/Conseil cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James
Question
Comment avez-vous choisi votre profession et quel a été votre parcours?
Réponse

Je m’étais inscrite au départ en ergothérapie à l’université, mais, au fil de mes études, j’ai constaté que j’étais davantage passionnée par la santé mentale que la santé physique. Le fait de compter des personnes atteintes de troubles bipolaires dans ma famille a assurément contribué à faire naître en moi un intérêt pour la psychiatrie, car je voulais comprendre leur état et, surtout, participer au traitement de cette affectation. Après deux ans de formation, j’ai donc pris la décision de quitter le domaine de l’ergothérapie pour m’inscrire en médecine et devenir psychiatre. J’ai fait plusieurs stages dans d’autres pays tels que le Cameroun et le Pérou ainsi que des voyages au Kazakhstan, en Ouzbékistan, au Pakistan, au Yémen et au Soudan. Chaque année, je partais au moins six semaines pour voir comment la psychiatrie était appliquée à l’international. Je me suis intéressée à la psychiatrie transculturelle, qui n’est pas une spécialité en soi, mais une branche de la psychiatrie qui oriente ses interventions en regard de l’origine culturelle des patients. J’aurais bien aimé travailler pour Médecins Sans Frontières (MSF), mais comme j’étais au début de ma carrière, je n’étais pas certaine de pouvoir apporter une contribution satisfaisante à cette organisation internationale. J’ai alors accepté un poste de psychiatre offert par le Conseil Cri de la santé et des services sociaux de la Baie-James pour travailler avec les Premières Nations. Cette fonction, que j’occupe depuis 2008, est rattachée à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Je travaille donc principalement à Montréal et je me rends dans le nord du Québec une semaine par mois.

Question
À quoi ressemble le travail d’une psychiatre?
Réponse

Le type de psychiatrie que j’exerce est davantage axé sur l’aspect communautaire, et je couvre neuf communautés cries qui comptent environ de 600 à 4000 habitants. Comme je ne parle pas leur langue, mes contacts avec les Autochtones se déroulent principalement en anglais. Lorsque je suis à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, je peux faire des consultations à distance avec mes patients qui sont dans leur région au nord du Québec ou encore rencontrer directement certains membres des communautés qui ont fait le voyage jusqu’à Montréal pour une thérapie précise ou certains rendez-vous. Je procède, entre autres, à des évaluations afin d’offrir un support aux médecins de famille. Je leur transmets des recommandations, des diagnostics, des suggestions de thérapie ou de médicaments, etc. Cependant, lorsque je suis au Nord, mon travail est quelque peu différent, car je dois veiller avant toute chose à ce que la personne soit fonctionnelle dans sa communauté et qu’elle y joue un rôle. C’est-à-dire que je continue à faire des diagnostics, mais mon approche doit tenir compte en grande partie du réseau et de la communauté. 

Au quotidien, je vois beaucoup de patients qui vivent avec des états de stress post-traumatiques liés à la violence, aux abus sexuels ou aux conséquences de la consommation excessive d’alcool et de drogues, mais également aux répercussions des traumas transgénérationnels. Ces types de traumas nécessitent du temps pour les traiter. En général, en psychiatrie, nous ne sommes pas autorisés à offrir un suivi au conjoint de notre patient, à son enfant ou encore au reste de sa famille, mais vu que je suis la seule médecin sur place pour toute la communauté, c’est souvent le cas. Ils savent que je les rencontre tous individuellement et nous faisons parfois des bouts de thérapie en couple ou en famille, selon leur cheminement. Dans cette situation particulière, il est d’autant plus important de respecter le secret professionnel c’est pourquoi je porte une attention continue aux notes que j’écris dans les dossiers. Comme certains intervenants sont cris, que tous les professionnels ont accès aux archives et qu’ils travaillent directement avec les gens de leur village, je dois veiller rigoureusement au respect de la confidentialité. Nous avons un dispensaire où je rencontre les patients, mais il m’arrive parfois de me déplacer directement chez eux. Je dois vraiment m’adapter à leurs besoins et à leurs demandes, mais également à leur culture. Cela fait près de 14 ans maintenant que je fais ce travail, et vu que je ne fais pas partie de leur communauté, c’est au fil du temps que nous avons pu développer une alliance et un lien de confiance. 
 

Question
Qu'est-ce que vous aimez le plus et le moins dans votre travail?
Réponse

Le contact avec les membres des communautés autochtones est ce que j’aime le plus. Je vois certains patients depuis plus de 10 ans et même s’ils n’ont peut-être pas autant besoin de la psychiatrie qu’à notre première rencontre, je continue de leur offrir une certaine forme de relation d’aide et de suivi. Si une personne a envie d’une consultation, je me rends disponible et je peux lui donner un rendez-vous la journée même, alors que dans les grands centres, des patients peuvent attendre des mois avant d’avoir accès à un professionnel. J’aime cette réalité propre à ce petit milieu. De plus, je constate que l’esprit d’équipe est plus grand dans le Nord et ça me plaît beaucoup, car les intervenants s’unissent et travaillent ensemble sur un même pied d’égalité. Ce que je trouve dommage, c’est que je ne peux pas vraiment développer de relations d’amitié avec les gens que je côtoie là-bas parce que je ne sais jamais si une personne ne deviendra pas un jour l’un de mes patients. De plus, la différence culturelle apporte son lot de défis. Je dois m’ajuster à eux constamment et trouver un équilibre afin que les choses puissent avancer tout en respectant leur rythme, différent du mien. Je dirais que le côté organisationnel est certainement ce que je trouve le plus difficile. Le voyage pour me rendre au dispensaire est souvent parsemé d’embûches et il est courant, par exemple, que le chauffeur censé venir me prendre à l’aéroport ne soit pas arrivé, que ma chambre ne soit pas prête ou encore que mes bagages arrivent en retard.

Question
Quels sont les aspects méconnus de votre profession?
Réponse

Il y a une peur réelle de la psychiatrie chez la population en général. Les gens l’associent souvent à la prescription d’ordonnances, et bien que la médication fasse partie des traitements et qu’elle apporte une aide réelle, il est essentiel de pouvoir aborder certains éléments en thérapie pour traiter la cause d’un problème et non pas seulement soulager les symptômes. Même si certains courants de la psychiatrie ont pu être discutables au cours de l’histoire, je crois qu’il ne faut pas rester ancré dans une vieille conception de la médecine. De nos jours, on utilise plusieurs approches thérapeutiques moins conventionnelles comme l’hypnose, le « Eye Movement Desensitization & Reprocessing (EMDR) », l’art-thérapie ou encore la musicothérapie. De nouveaux projets voient le jour tels que les hospitalisations à la maison, et divers programmes communautaires sont mis en place en lien avec l’itinérance. La psychiatrie est en train de changer, et c’est bien intéressant. De plus, les nouvelles opportunités offertes par la technologie pour effectuer des consultations à distance apportent beaucoup d’éléments positifs pour les patients qui n’ont plus à se déplacer à la clinique et risquer de croiser des gens qu’ils connaissent. Cela offre beaucoup plus d’intimité.

Question
Qu'est-ce que vous diriez à quelqu'un qui désire faire ce choix de carrière?
Réponse

Au cours de ma première année d’études en médecine, j’ai eu de la difficulté à faire la transition entre le climat de collaboration et de travail d’équipe qui prévalait dans le domaine de l’ergothérapie et la compétition entre les étudiants qu’on retrouvait en médecine. Les personnes qui y sont admises sont souvent perçues comme faisant partie d’une élite, et je ne m’identifiais pas du tout à cela. Ce comportement m’a fait douter de mon choix et j’en ai discuté avec un enseignant qui m’a fait comprendre qu’une fois mes études complétées, je pourrais décider de l’orientation que je voulais donner à mon travail. Si, par exemple, je souhaitais travailler de manière collaborative avec les autres professionnels de la santé, je pourrais le faire. Cette discussion m’a beaucoup aidée à relativiser les choses et à persévérer dans mes études. De plus, je crois qu’il est important d’acquérir une expérience diversifiée pour se faire une idée réaliste de la profession. Par conséquent, faire plusieurs stages dans différents milieux peut être une bonne façon d’y parvenir. Les organismes communautaires sont une très belle porte d’entrée pour quelqu’un qui veut se familiariser avec la santé mentale et ces organismes sont souvent plus accessibles qu’un hôpital psychiatrique. Quelqu’un intéressé par la santé mentale peut d’ailleurs parrainer une personne qui vit avec une problématique de cette nature. Cela permet de démystifier beaucoup de choses. Pour être un bon psychiatre, il faut essentiellement avoir de l’empathie ainsi qu’un désir profond d’être en relation avec l’autre. Il est également nécessaire de faire preuve d’ouverture d'esprit face aux autres cultures afin de ne pas porter de jugement inutile. En fait, nous devrions toujours adopter cette attitude avec les gens que nous côtoyons dans notre vie, car nous sommes toutes des personnes différentes même si nous avons la même origine ethnique.

Entrevue réalisée par Pascale-Andrée Boivin